Caisse d’Epargne a souhaité rencontrer un chercheur spécialiste du sujet pour nous éclairer sur sa réalité et ses enjeux. Olivier Torrès, fondateur de l’Observatoire Amarok, répond à nos questions.
Qu’est-ce que l’Observatoire Amarok et pourquoi l’avoir créé ?
Olivier Torrès : L’Observatoire Amarok, que j’ai créé en 2009, est une association qui s’intéresse à la santé physique et mentale des travailleurs non salariés : dirigeants de PME, commerçants indépendants, professions libérales, artisans, etc. Elle fédère une quinzaine de chercheurs qui étudient les liens entre la santé de l’entreprise et celle de son dirigeant.
Je m’intéresse depuis toujours aux spécificités des PME sur le plan économique et managérial. On parle très peu des PME, et c’est injuste. Si l’on tient compte de leur poids économique et social, on peut même parler d’une distorsion que j’appelle « l’effet Gulliver » : un biais de représentation du monde à partir des géants, et cet effet existe dans de nombreux domaines, dont la santé. Il y a quinze ans, il y avait plus de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur celle des entrepreneurs ! J’ai créé l’observatoire pour corriger cette forme d’injustice.
Comment se portent les entrepreneurs ?
Olivier Torrès : Lors de nos études, on a établi qu’un homme ou une femme qui se met dans une logique de projet entrepreneurial développe davantage de facteurs salutogènes que pathogènes ; globalement, entreprendre est bon pour la santé. Mais il existe aussi de la détresse dans ces populations.
Quel est le bilan ?
Olivier Torrès : Depuis la création du dispositif, nous avons eu plus de 2 000 déclenchements d’alerte. Quand il y a une alerte, nous sommes obligés de lever l’anonymat qui prévaut jusque-là. Une personne sur deux accepte de lever l’anonymat et d’entrer en contact avec un psychologue. Un taux de conversion de 50 %, c’est beaucoup, surtout venant d’une population qui est extrêmement rétive à toute demande d’aide et à signifier une forme de faiblesse.
Il existe des phases, dans la vie d’un dirigeant, comme la liquidation de son entreprise, qui sont particulièrement pathogènes.
J’ai souvent entendu des hommes et des femmes me dire : « Mon entreprise, c’est mon bébé ». C’est une image qui peut être extrêmement dangereuse, parce que le jour où vous liquidez votre boîte, vous vous mettez psychiquement dans la posture de quelqu’un qui perd son enfant. Il existe des risques suicidaires après un dépôt de bilan, d’où le dispositif Apesa* (Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë), qui fait de la prévention sur ces risques.
Comment agir sur la phase de rebond, après une liquidation ?
Olivier Torrès : Il faut savoir que la France est en pointe sur ces sujets avec le Portail du rebond des entrepreneurs, qui regroupe les associations : comme 60 000 rebonds, Second souffle, Re-créer et Amarok. Ce Portail permet à un entrepreneur qui est ou a été en difficulté et qui est tombé de pouvoir rebondir. L’Union Européenne nous a décerné en 2020 le Grand Prix de l’accompagnement entrepreneurial. Et si des associations belges, suisses, canadiennes, italiennes frappent à nos portes pour dupliquer notre modèle, c’est bien parce que nous sommes la référence.
Pensez-vous que le sujet de la prévoyance soit bien appréhendé par les dirigeants ?
Olivier Torrès : Les entrepreneurs sont très loin d’y penser, et c’est un tort. Les assureurs, les banques ont un mal fou à commercialiser la prévoyance, ce qu’on appelle parfois les « assurances hommes clés ». Personnellement, je trouve qu’y souscrire est très pertinent, parce que, dans une PME, c’est rassurant. Mais le problème, c’est ce rapport très existentiel de l’entrepreneur à son travail et surtout à son entreprise.
Lors de la création ou de la reprise d’une entreprise, il y a une frénésie émotionnelle, l’entrepreneur est porté par une forme d’euphorie, il est à 10 000 lieues de penser à l’échec. Tout l’esprit, tout le corps, et même le sommeil, absolument tout est consacré à la réussite de son projet. Comment voulez-vous que, mentalement, ces personnes-là puissent conscientiser la notion de prévoyance ? D’autant que l’entrepreneur est plutôt quelqu’un qui risque. Mais, c’est un tort, parce que des dispositifs existent pour compenser, si à un moment ça ne va pas du tout. Et, oui, c’est un filet de sécurité qui permet parfois d’éviter des drames.
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